Revue Marseillaise du théâtre
L’Illustre Mascarille
Ou la Comédie des Importuns

Parfois au théâtre, nous avons la chance de tomber sur des trésors insoupçonnés. Et s’en était indubitablement le cas hier soir, lorsque surgirent sur scène les personnages de L’Etourdie, au son harmonieux de trois coups de…guitare ?! Assurément, les acteurs de la Compagnie Mascarille cultivent la même impertinence que le personnage de Molière. C’est ainsi que ce vendredi 25 octobre, dans la salle du Théâtre Ainsi de Suite du Lycée St Eloi à Aix-en-Provence, se tint la représentation de L’Etourdie, l’une des toutes premières pièces composées par Molière à l’époque de l’Illustre Théâtre.

Cette adaptation de Cécile Petit, directrice de la Compagnie Mascarille, est à la fois un vibrant hommage au registre de la farce populaire et de la commedia dell’arte, ainsi qu’une formidable introduction au monde du théâtre. Le texte a bien entendu été revisité et adapté, afin de le rendre plus compréhensible pour le jeune public. La pièce est véritablement accessible à tous. Pour ce trio d’acteurs talentueux, le pur plaisir de la comédie s’associe à un objectif pédagogique terriblement séduisant : faire découvrir l’univers des grands dramaturges à un tout jeune public. Servie par une mise en scène débordante littéralement d’énergie, l’histoire se dévoile alors sur un rythme effréné !

L’intrigue, si elle est universelle et immédiatement identifiable au répertoire de Molière, reste néanmoins d’une efficacité redoutable. Le jeune et ardent Lélie nourrit de tendres sentiments à l’égard de Célie. Celle-ci le lui rend bien, mais la jeune femme est malheureusement l’esclave du seigneur Trufaldin. Lélie est prêt à tout pour la racheter à son maître, mais il devra hélas composer avec un père avaricieux et têtu, un rival entreprenant, et une providence sournoise. Pour ne rien arranger, le pauvre Lélie est maladroit, malchanceux, malhabile, bref….étourdi!! Son unique recours repose sur les manœuvres et fourberies ourdies par son fidèle valet Mascarille. Mais celui-ci aura parfois bien du mal à réparer les innombrables bêtises de son maître. Les intrigues succèdent aux coups de théâtres pour finalement aboutir à une conclusion burlesque et bouleversante, dans laquelle la vérité sera rétablie et l’amour triomphera.

La mise en scène tranche par son dynamisme et sa modernité. Montée sur des tréteaux, comme au temps des théâtres de foire, la scène est ouverte au regard et se contente d’un décor minimaliste : un fond coloré supportant un rideau et un coffre situé au centre de la « place du village ». Mais l’imagination prend rapidement le dessus, et le jeu extrêmement énergique des comédiens plonge le spectateur directement au cœur même de l’histoire. La qualité de la performance est encore plus remarquable lorsqu’on songe que tous ces personnages ne sont joués que par trois acteurs ! Interprétant tour à tour l’amoureux malhabile, le barbon mesquin, le grippe-sou teigneux, la belle amoureuse, le valet impertinent, le fripon retord et le seigneur égyptien (et j’en oubli), Arnaud Anson, Emmanuel Chambert et Cécile Petit donnent véritablement vie à cette brochette de personnages burlesques. L’usage de masques et le visage barbouillé de blanc, qui évoque le personnage du Pierrot, sont autant des rappels de l’influence de la comédie italienne qu’une manière de faciliter la transition entre les différents personnages. Parfois, une brève disparition derrière le rideau suffit à changer la donne. Détail piquant: les comédiens s’offrent une pause de temps en temps dans le récit, feignant l’incompréhension afin de pouvoir clairement expliquer aux spectateurs les enjeux de la scène à venir. Un intermède bienvenu au cours de cette farce endiablée ! La gestuelle des personnages est particulièrement savoureuse, et n’a rien à envier aux plus grands classiques du slapstick américain. La musique tient également une place particulière. La pièce est en effet ouverte et clôturée par un hymne à l’amour entonné par les personnages. Mais elle survient également durant l’action, venant rythmer certain moments dramatiques (comme les percussions frénétiques accompagnant la poursuite de Mascarille par un Lélie furibond), comiques (l’apparition du beau Léandre, le play-boy local, sur un air rock) ou ponctuant les réflexions des personnages (notamment un Mascarille élaborant tours et fourberies en dialoguant avec un violoncelle). Il s’agit véritablement du quatrième acteur !

L’heure passa malheureusement trop vite, mais à en juger par les vagues de rires qui secouèrent l’assistance et la puissance des applaudissements, elle ne fut en aucun cas perdue pour personne. Ce n’est pas la première fois que Cécile Petit et la troupe de la Compagnie Mascarille s’essaient à cet exercice, et ils ne comptent pas s’arrêter là. Après avoir proposé une adaptation du conte de Tristan et Yseult, les comédiens proposeront cet hiver le Songe d’une Nuit d’Eté de William Shakespeare. Des dates sont déjà prévues à Marseille en décembre et janvier. Gardez les yeux ouverts ! Mais l’histoire de l’Etourdi n’est pas encore terminée. Bien que cette pièce soit une création de l’année dernière, sa conceptrice estime qu’ils continueront de la jouer tant qu’elle sera demandée. Souhaitons qu’elle le reste longtemps encore…